Et si on se débarrassait de Google (pour commencer) ?

Et si on se débarrassait de Google (pour commencer) ?


Par David Legrand
le lundi 27 novembre 2017 à 16:57

Alors que certains se demandent s’il faut démanteler Google ou comment procéder pour que des alternatives émergent, on peut se poser une question différente : que faire pour que Google puisse ne plus du tout faire partie de nos vies ? Malheureusement, c’est compliqué.

Dans son numéro d’octobre, Usbek et Rica se posait une question : « Faut-il démanteler Google ? ». Une interrogation qui n’est pas totalement nouvelle. En 2012 par exemple, une députée soumettait cette idée. Mickael Berrebi et Jean-Hervé Lorenzi faisaient de même en juin en publiant un livre de 256 pages sur le sujet : L’avenir de notre liberté.

Dès avril, Jonathan Taplin, directeur de l’Annenberg Innovation Lab de l’université de Californie du Sud, auteur de Move Fast and Break Things : How Google, Facebook and Amazon Cornered Culture and Undermined Democracy, se posait la même question dans le New York Times, en évoquant de précédents démantèlements intervenus aux États-Unis.

Google bien plus « Evil » qu’il y a 20 ans

Il faut dire que le poids de Google, qui fêtera ses 20 ans le 4 septembre 2018, pose question depuis de nombreuses années. En position dominante dans le domaine de la recherche, surtout en Europe, la société est également à l’origine d’Android qui intègre nativement ses services. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et présents dans toutes les sphères de nos vies, jusque dans notre maison ou notre réseau local.

Leur point fort ? La gratuité ou l’accès à moindre coût. Avec sa capacité à proposer des produits innovants grâce à son armée de développeurs, Google a réussi à s’imposer sur de nombreux marchés, de Gmail à Maps en passant par Chrome, sur le streaming de vidéos via YouTube ou encore les statistiques de visites de sites web à travers Analytics.

Le tout vient alimenter d’immenses silos à données qui permettent au géant américain de presque tout savoir de nous, et de miser sur une source de revenus immense : la publicité ciblée.

Mais voilà, quand le moteur de recherche favorise son service de comparaison de prix, son framework AMP, qu’il décide des formats publicitaires prohibés dans son navigateur, alors qu’il est lui-même un acteur majeur de ce marché, qu’il finance des médias, qu’il peut choisir de mettre tel ou tel en tête ses résultats de son service Actualités sans rendre de compte, quitte à parfois propager de fausses informations… ses pouvoirs, et l’absence de contre-pouvoir, font réagir à tous les niveaux.

Google a ainsi déjà subi une amende au niveau européen, plusieurs années après avoir favorisé son service Shopping au détriment de ses concurrents, dont certains ont payé le prix fort. La société est toujours sous le coup d’une enquête concernant Android. Et plus récemment, c’est l’Arcep qui semble avoir la société dans son viseur.
Le démantèlement de Google par la montée en puissance d’alternatives

L’autorité de régulation des télécoms s’intéresse en effet de plus en plus au rôle des plateformes, ainsi qu’aux questions de neutralité hors du réseau, mais également au niveau des appareils. Elle devrait d’ailleurs livrer ses premières conclusions en la matière d’ici peu.

Son président, Sébastien Soriano, ne se contente d’ailleurs plus de demander s’il faut ou non démanteler Google. Il préconise plutôt de se poser d’ores et déjà la question de la méthode pour le faire. Dans une interview récente à Acteurs publics, il prévient : « taxer les Gafam ne suffira pas à mettre à bas leur domination ».

Il regrette également « une forme de capitulation dans le débat public » sur cette question, et une attention politique qui s’est « concentrée sur les symptômes de cette domination au lieu d’agir sur leurs causes ».

Ainsi, plutôt que de s’attarder sans cesse sur les nouvelles problématiques liées à la vie privée ou aux fake news, il faudrait « faire émerger des alternatives aux Gafam, respectueuses des droits humains et des valeurs qui sont les nôtres », notamment à travers des leviers de régulation et le soutien de l’État à de tels acteurs (en évitant de répéter le « Cloud souverain »).
Le pouvoir de Google est celui que vous lui donnez

Car il ne faut pas oublier l’essentiel : si Google a su séduire des millions d’utilisateurs à travers le monde avec ses services bien pensés et gratuits, récoltant des données de manière automatique et quasiment invisible, c’est son utilisation quotidienne qui donne au géant américain la puissance qui est la sienne.

Lorsque vous préférez Gmail à un service qui ne vit pas de la publicité et de vos données, lorsque vous effectuez une recherche dans Chrome tout en étant connecté à votre compte Google, lorsque vous connectez un routeur Google Wifi qui vous fait passer par défaut par les serveurs DNS de la société, lorsque vous utilisez Google Home qui vous oblige à activer votre historique de recherche, lorsque vous placez toutes vos photos sur les serveurs de Google parce que c’est automatique et gratuit, sans vous poser de question… vous participez à la domination de Google. Vous pouvez donc participer à son affaiblissement.

Les internautes ne sont d’ailleurs pas les seuls à pouvoir agir. Lorsque les éditeurs de sites font reposer leurs statistiques sur Google Analytics plutôt que Piwik ou un autre dispositif recommandé par la CNIL, ils participent au tracking massif et constant de leurs visiteurs. Il en est de même lorsqu’ils utilisent des formulaires Google pour les interroger ou lorsqu’ils stockent leurs documents (dont certains sensibles ?) sur Google Drive sans chiffrement.

La responsabilité est donc collective. L’action doit également l’être pour porter ses fruits. Car même si la question d’un éventuel démantèlement se pose, même s’il devait arriver et que le vœu du président de l’Arcep de voir l’état jouer son rôle en la matière venait à se réaliser, les effets ne se feront pas ressentir avant des années.
Agir, dès maintenant

Or, cela fait maintenant près de deux décennies que Google nous analyse, nous profile, nous décortique dans l’indifférence quasi générale. Si l’on s’indigne assez rapidement de la surveillance de la part des États, des fuites de données en tous genre et autres dispositifs qui envoient des données à des serveurs en Chine, il en est tout autrement dès qu’il faut massivement changer nos habitudes de consommateur.

Chrome a su se rendre indispensable, le moteur de recherche de Google est présent par défaut partout, même dans Firefox et iOS, YouTube est sans doute la seule plateforme où l’on est sûr de retrouver gratuitement tout le contenu qui nous intéresse.

Pendant trois ans, Framasoft a mené la campagne « Dégooglisons Internet », montrant que chacun pouvait utiliser ou même héberger des services tiers, qui ne dépendant pas de Google ou même d’un autre acteur centralisateur. Après avoir initié les CHATONS, ils misent sur Contributopia et leur nouvelle initiative PeerTube qui se veut une alternative décentralisée à YouTube.

Les alternatives sont de plus en plus nombreuses et même parfois relativement structurées. Qwant a montré qu’il pouvait y avoir un choix crédible dans la recherche, sans dépendance à la collecte massive de données. Cozy Cloud veut proposer une réponse à la question de l’hébergement de données. CaliOpen veut redonner de la confiance dans les outils de messagerie avec son Privacy Index, en cours d’élaboration.
Un écosystème d’alternatives en construction, à soutenir

Si ces alternatives sont encore parfois balbutiantes, elles doivent être soutenues, accompagnées mais aussi analysées. Car elles doivent avant tout avancer, afin de nous permettre de réduire peu à peu notre dépendance à Google mais aussi aux autres entreprises dominantes du secteur qui rêvent de voir le web ne tourner qu’autour d’elles, à la manière d’un Minitel nouvelle génération.

Pour cela, il faut aussi un regard critique, qui n’est lui-même pas dépendant de Google ou d’autres géants du secteur. D’acteurs dans le domaine de la presse pour qui la société de Mountain View n’est pas une source de revenus, une source majeure d’audience, de centralisation des données d’abonnement ou même un partenaire privilégié. Simplement une société dont ils peuvent remettre les choix en question sans avoir à craindre pour leur modèle économique.

C’est aussi là que nous pensons qu’un projet comme celui de Next INpact a tout son rôle. Celui de savoir suivre les évolutions de géants comme Google au quotidien, tout en sachant être critiques et refuser leur omniprésence, ne pas l’imposer à ses lecteurs. Mais surtout questionner les choix de la société et guider ceux des internautes sur d’autres voies, qui peuvent être dans leur intérêt.

C’est une tendance que nous allons continuer de suivre, et même renforcer dans les mois à venir. Avec vous ?

Oui, je l’ai lu ailleurs.

Difficile de s’en passer, notamment si on a un « smartphone » Android ; mais c’est la même chose si on a un iphone.