Justice : un marché public ne peut favoriser un logiciel propriétaire

Selon une ordonnance diffusée par Next INpact, un marché public visant un logiciel propriétaire a été annulé par le tribunal administratif de Strasbourg, faute d’avoir respecté les règles de concurrence. La juridiction de référés a détaillé les conditions de cet encadrement sur fond de Code des marchés publics.

Les décisions des juridictions administratives en matière d’appels d’offres relatifs aux logiciels propriétaires sont relativement rares, à l’opposé des marchés publics faisant référence des solutions comme Microsoft Office. Une ordonnance rendue à Strasbourg le 16 avril 2019 a trait à un marché de service que voulait passer le préfet de la région Grand Est.

En février 2019, l’autorité lançait une consultation, dans l’objectif de conclure un accord-cadre de deux ans, reconductible deux fois pour une durée de 12 mois, en vue du développement et de la maintenance applicative de la plateforme collaborative Interstis.

Cette plateforme devait profiter aux réseaux professionnels animés par la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DRAFF) et celle de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) du Grand Est.

Un recours contre des spécifications discriminatoires

Anyware Services, un éditeur de solutions open source, a toutefois réclamé l’annulation de cette procédure. Dans son recours déposé par Me Lafay, il considère que « les spécifications techniques du marché sont discriminatoires et méconnaissent ainsi les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats ».

Selon l’entreprise, en effet, dans le dossier de consultation des entreprises et les questions posées en amont de ce marché, la préfecture « a entendu imposer le recours à la seule plateforme « Interstis » qui est une solution propriétaire et non un logiciel libre, qui appartient à la société Interstis ». Ces spécifications techniques ont finalement « eu pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ».

Une solution ni librement, ni gratuitement accessible

Dans l’ordonnance obtenue par Next INpact, le tribunal administratif de Strasbourg va donner raison à Anyware Services. Il relève que le logiciel propriétaire Interstis « n’était accompagné, au stade de la remise des offres, ni du code source, ni même d’une quelconque documentation associée ».

Pour le juge des référés, il n’était pas interdit en soi que « les spécifications des documents de consultation » imposent un tel logiciel. Cependant, les manquements constatés ont disqualifié les autres candidats, qui n’ont pu proposer de solution concurrente. « Ainsi, avant que l’attributaire soit choisi, ce logiciel n’était pas librement et gratuitement accessible, ni modifiable par toute entreprise candidate spécialisée dans la réalisation d’espaces numériques de travail autre que celle qui l’a conçu. »

Et la décision d’insister : « l’administration a nécessairement conféré un avantage à la société Interstis Partenaires, au demeurant seule candidate (…) ayant présenté une offre ».

Le juge en déduit que la procédure a méconnu l’article 5 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics. Cette disposition oblige l’administration à prendre « les mesures appropriées pour que la concurrence ne soit pas faussée par la participation à la procédure de passation du marché public d’un opérateur économique qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure, à des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires ».

« Autrement dit , commente Me Lafay sur son site, dès lors qu’une collectivité souhaite lancer un marché de services portant sur un logiciel propriétaire, il lui revient de mettre tout en œuvre, dès le stade de la passation, pour rétablir l’égalité de traitement entre le concepteur du logiciel et ses concurrents, en fournissant dans le DCE toutes les informations utiles permettant aux concurrents d’appréhender ledit logiciel afin de leur permettre d’élaborer et de déposer une offre compétitive ».

Selon le juriste, contacté par notre rédaction, le préfet doit maintenant relancer toute la procédure en respectant les lignes posées par l’ordonnance.

« Région Picardie », l’arrêt fondateur de 2011

Dans un arrêt Région Picardie du 30 septembre 2011, confirmé pas plus tard que le 8 avril dernier, le Conseil d’État avait déjà estimé qu’un marché pouvait inversement se concentrer sur un logiciel libre dans la mesure où ce logiciel « était librement et gratuitement accessible et modifiable par l’ensemble des entreprises spécialisées […] qui étaient ainsi toutes à même de l’adapter aux besoins de la collectivité et de présenter une offre indiquant les modalités de cette adaptation ».

Une décision applaudie à l’époque par l’April, l’association pour la promotion du libre : « le choix d’un logiciel libre peut être fait librement par les collectivités, car les libertés du logiciel ne limitent pas la concurrence par la suite. »

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