L'Assemblée rejette les amendements sur le logiciel libre à l'école

Suivant l’avis du gouvernement, les députés ont rejeté plusieurs amendements qui auraient contraint l’Éducation nationale à utiliser uniquement (ou même « en priorité ») des logiciels libres. Et ce au grand dam de l’April, qui a dénoncé le « manque de volonté politique » de l’exécutif sur ce dossier.

« Un consensus semble se dégager sur l’utilisation des logiciels libres dans l’administration ou dans l’éducation, mais il se traduit trop peu en actes et en plans de déploiement ambitieux. » II est près de 23h30, vendredi 15 février, lorsque Elsa Faucillon prend la parole dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

La députée communiste a visiblement en tête l’ouverture dont a fait preuve le ministre de l’Éducation nationale, quelques jours plus tôt, suite à une interpellation de son collègue Stéphane Peu. « Il n’y a pas de différence d’état d’esprit entre vous et moi sur ces enjeux » avait notamment déclaré Jean-Michel Blanquer alors que l’élu déplorait que la majorité se soit opposée, en commission, dans le cadre des débats sur le projet de loi « pour une école de la confiance », à ce que les logiciels propriétaires soient exclus des établissements scolaires.

La rapporteure (LREM) était prête à un compromis sur une utilisation « en priorité »

Les yeux rivés sur le partenariat noué avec Microsoft en 2015, les élus du groupe LFI dénonçaient la « mainmise des entreprises privées, notamment des GAFAM », sur les outils numériques utilisés au sein de l’Éducation nationale.

« Les enfants apprennent très jeunes à se servir de ces logiciels et seulement ceux-là. En conséquence, dans leur vie d’adulte, ils ont tendance à acheter des matériels pourvus des logiciels qu’ils connaissent déjà et dont ils savent se servir. Les entreprises privées s’assurent ainsi une clientèle quasi captive », a de nouveau regretté Bastien Lachaud, vendredi, lors des débats en séance publique.

Au nom du principe de « neutralité de l’enseignement », le parlementaire plaidait pour que les élèves n’utilisent que des logiciels libres, « que ce soit au niveau des systèmes d’exploitation, des moteurs de recherche ou encore des logiciels de traitement de texte ». En clair, plus aucun jeune n’aurait été amené à utiliser d’ordinateur fonctionnant sous Windows…

« Ces logiciels pouvant, de surcroît, être gratuits, cela permettrait de faire faire des économies utiles à l’Éducation nationale et de dégager des fonds pour d’autres projets » s’est par ailleurs justifié Bastien Lachaud. Elsa Faucillon a embrayé en ajoutant que contrairement aux solutions propriétaires, les logiciels libres pouvaient être librement « adaptés et enrichis ».

La députée communiste proposait toutefois une réforme moins rigide, puisqu’elle souhaitait que les logiciels libres soient utilisés « en priorité », de même que les « formats ouverts », au sein de l’Éducation nationale.

Invitée à se positionner, la rapporteure Fanette Charvier (LREM) a commencé par rappeler que les établissements scolaires étaient d’ores et déjà encouragés à recourir aux logiciels libres, notamment sur le fondement de la loi Numérique de 2016. Quant à imposer un recours systématique aux logiciels libres, la députée a jugé qu’une telle réforme serait « trop générale pour être applicable », et prédit qu’elle poserait ainsi « des difficultés selon l’offre disponible ».

Fanette Charvier s’est néanmoins montrée favorable à l’amendement de compromis d’Elsa Faucillon, sous réserve de l’adoption d’un sous-amendement précisant que la priorité aux logiciels libres se fasse « à offre équivalente ».

Des dispositions qui « pourraient s’avérer contraires au Code des marchés publics »

Le ministre de l’Éducation nationale a toutefois rejeté l’ensemble de ces propositions. « Le sujet des logiciels libres est très intéressant et je redis ici publiquement que nous devons les encourager. C’est d’ailleurs déjà ce que nous faisons », a assuré Jean-Michel Blanquer. « Toutefois, inscrire dans la loi l’obligation de recourir aux logiciels libres est tout autre chose et peut s’avérer assez contre-productif. »

Le représentant du gouvernement s’est même opposé au compromis porté par la rapporteure, affirmant que les dispositions proposées « pourraient s’avérer contraires au Code des marchés publics ». « Il y a quelque chose d’un peu aventureux dans cette écriture, a poursuivi Jean-Michel Blanquer . Ça ne signifie pas que je ne suis pas d’accord avec l’esprit de la proposition, mais je pense que c’est inopérant » a-t-il conclu.

blanquer assemblée

Crédits : Assemblée nationale

« Il y a un consensus et une volonté », a réagi Elsa Faucillon. Avant de lancer, à l’attention des députés : « Désormais, il faut accélérer le mouvement en faveur des logiciels libres, notamment dans le domaine éducatif où ils offrent, pour les élèves et les enseignants, des possibilités beaucoup plus enrichissantes que les logiciels privés. »

La parlementaire a par ailleurs insisté sur le fait que le Code de l’éducation prévoit – et ce depuis 2013 – que les logiciels libres doivent être utilisés « en priorité » au sein de l’Enseigneur supérieur. Un point qui avait d’ailleurs été rappelé par la rapporteure. « Dès lors, pourquoi ne pas l’inscrire, sous une forme identique, dans les principes généraux du Code de l’éducation ? » a interrogé Elsa Faucillon.

L’élue n’a cependant eu aucune réponse à sa question. Tous les amendements sur le logiciel libre ont été rejetés par l’Assemblée nationale, sans plus de débats.

L’April dénonce le « manque de volonté politique » du gouvernement

Pour l’April, l’association de promotion du logiciel libre, la pilule est d’autant plus difficile à avaler que les arguments du ministre de l’Éducation nationale ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux opposés par le gouvernement de Manuel Valls, en 2016, lors de l’examen du projet de loi Numérique.

« Le gouvernement de l’époque s’était déjà retranché derrière une prétendue incompatibilité juridique », regrette ainsi l’April dans un communiqué. Et pour cause : l’exécutif n’a jamais voulu dévoiler les éléments de droit justifiant son argumentaire. L’association, à l’origine d’une note aux conclusions contraires à celles du gouvernement, en déduit que la position du ministère de l’Éducation nationale vise « une fois de plus à cacher un manque de volonté politique ».

« Le sujet n’est pas clos », prévient toutefois l’April, qui lorgne désormais sur le Sénat. L’organisation réclame désormais « la publication des éléments juridiques qui concernent la priorité au logiciel libre, de manière à éclairer le débat parlementaire et à ce que cesse le recours à un argument d’autorité ». « L’enjeu d’une priorité au logiciel libre, loin d’être uniquement technique, est celui du développement par les élèves d’un rapport critique aux outils informatiques et donc de leur émancipation », souligne au passage Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Vendus, ou achetés ? En partie, par Microsoft, comme dit dans l’article.
Sans aller jusqu’à cette opinion extrême, ont-ils utilisés des logiciels libres, non pas une demi-fois, mais au point de les connaître aussi bien que les logiciels privateurs ?

Les difficultés juridiques des marchés publics sont réelles.

Des lois existent déjà, mais sont-elles appliquées ? Les enseignants sont-ils formés ? Il est illusoire de croire qu’un enseignant « formaté » Microsoft proposera facilement des logiciels libres, à commencer par un système d’exploitation, logiciel bien plus complexe à maîtriser que la bureautique, où les logiciels sont plus équivalents et plus proches.