À l’Assemblée, l’utilisation des logiciels libres à l’école (à nouveau) en débat

Alors que le projet de loi sur l’école arrive à l’Assemblée nationale, les députés La France Insoumise s’apprêtent à défendre un amendement qui obligerait l’Éducation nationale à proposer uniquement des logiciels libres aux élèves. Plusieurs autres propositions ont par ailleurs émergé, par exemple au sujet de l’exposition des enfants aux écrans.

Déposé début décembre devant le Conseil des ministres, le projet de loi « pour une école de la confiance » sera débattu à partir de ce soir, 21h, en commission des affaires culturelles. Le texte, qui abaisse à trois ans l’âge de l’instruction obligatoire (contre six ans aujourd’hui), s’intéresse assez peu au numérique – tout du moins pour l’instant.

Certains députés souhaitent en effet profiter de ce véhicule législatif pour introduire différentes réformes en lien avec les nouvelles technologies.

Accompagner les expérimentations autour du BYOD

Le texte qui sera examiné ce soir ne contient qu’un seul article évoquant le numérique. En l’occurrence, il est prévu que les établissements scolaires puissent procéder à des expérimentations sur « l’utilisation des outils et ressources numériques », sous réserve que les autorités académiques aient donné leur accord.

Ces essais (qui pourront également concerner « l’organisation pédagogique de la classe », les « échanges avec des établissements étrangers », etc.) ne pourront durer plus de cinq ans. Un « accès aisé » à une école ou à un établissement « normal » devra alors « être garanti aux élèves dont les familles le désirent ».

Difficile pour autant de parler de véritable nouveauté… Le projet de loi procède en effet en grande partie à une réécriture de dispositions existantes. Celles relatives à « l’utilisation des outils et ressources numériques » furent d’ailleurs introduites l’été dernier dans le cadre de la loi sur l’interdiction des portables à l’école et au collège. Objectif : accompagner les projets éducatifs reposant notamment sur l’usage pédagogique du smartphone, par exemple au travers de projets de type « BYOD » (pour « bring your own device », soit « apportez votre appareil »).

Des craintes quant à une trop forte exposition aux écrans

Pour certains membres de la commission des affaires culturelles, le projet de loi porté par Jean-Michel Blanquer devrait aller plus loin en matière de numérique. Plusieurs amendements ont ainsi été déposés afin de revoir le contenu de la « formation à l’utilisation des outils et des ressources numériques » que sont censés suivre tous les élèves (et qui a encore été revue deux fois l’année dernière, suite aux lois sur le RGPD et sur l’interdiction du portable).

Les députés Xavier Breton et Patrick Hetzel plaident par exemple pour que cette formation comporte à l’avenir « une sensibilisation aux risques d’un usage non raisonné des outils numériques ». « Manque de sommeil, nervosité, ultra-sollicitation, zapping, intrusion publicitaire, risque d’addiction sont des effets bien connus de l’abus de supports électroniques », font valoir ces parlementaires LR.

Dans la même veine, le député Philippe Berta, suivi par une quarantaine d’élus Modem, propose l’introduction d’une « sensibilisation sur les risques de la dépendance aux écrans ». Selon lui, une « exposition excessive aux écrans » peut avoir des « conséquences néfastes sur le développement du cerveau, sur l’apprentissage des compétences fondamentales, sur la concentration ou encore sur le bien-être des enfants ».

On peut également signaler cet amendement de Frédéric Reiss (LR), qui prévoit qu’une « information » soit régulièrement délivrée « aux élèves, parents, enseignants et éducateurs quant au rôle fondamental d’un sommeil de qualité sur les performances physiques et intellectuelles, particulièrement sur les fonctions d’apprentissage des jeunes ». Le parlementaire s’inquiète du manque de sommeil des enfants, liée selon lui à « un retard progressif de l’heure du coucher souvent dû à la sur-sollicitation technologique (télévision, Internet, jeux vidéo, téléphone portable…) ».

Rappelons au passage que la proposition de loi sénatoriale visant à limiter l’exposition des enfants de moins de trois ans aux écrans (notamment par l’introduction de messages semblables au « fumer tue ») n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Un bilan sur l’éducation au numérique ?

Dans un tout autre registre, le député Xavier Breton (LR) demande qu’un rapport gouvernemental « sur le bilan du développement de l’éducation au numérique à l’école » soit remis au Parlement. Ce document évaluerait notamment « le fonctionnement du service public de l’enseignement numérique, son impact en termes de droit de la concurrence ainsi que ses effets sur le développement économique d’une filière numérique pédagogique ».

Certains pourraient voir d’un bon œil la présentation d’un tel bilan, le « plan tablettes » lancé en 2015 par François Hollande n’ayant pour l’heure fait l’objet d’aucune évaluation – et ce alors qu’un milliard d’euros devaient y être consacrés.

école ordinateur

Les députés LFI veulent imposer les logiciels libres, au nom du principe de neutralité

Le député Michel Larive, suivi par ses collègues du groupe LFI, s’apprête à raviver un vieux débat puisqu’il souhaite que tous les « logiciels mis à disposition des élèves dans le cadre du service public de l’enseignement » soient des logiciels libres. Une obligation qui prévaudrait aussi bien « au niveau des systèmes d’exploitation que des moteurs de recherche, ou encore des logiciels de traitement de texte et de données ». Autant dire qu’avec une telle réforme, plus aucun élève ne serait amené à utiliser d’ordinateur fonctionnant sous Windows…

Pointant du doigt l’accord de partenariat noué entre l’Éducation nationale et Microsoft, Michel Larive dénonce la présence de certaines entreprises privées (« et notamment des GAFAM ») au sein des appareils utilisés par les élèves : « Les enfants apprennent très jeunes à se servir de ces logiciels, et seulement ceux-là. En conséquence, dans leur vie d’adulte, ils ont tendance à acheter des matériels pourvus des logiciels qu’ils connaissent déjà, et dont ils savent se servir. Les entreprises privées s’assurent ainsi d’une clientèle quasi captive. »

Le recours aux logiciels libres, bien souvent gratuits, permettrait enfin « de faire faire des économies utiles à l’Éducation nationale, et de dégager des fonds pour d’autres projets », ajoute Michel Larive.

En juin 2013, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’était toutefois opposé à ce que les logiciels libres soient utilisés « en priorité » au sein de l’Éducation nationale. Et ce au nom de « difficultés juridiques », par crainte de contrariétés avec le droit européen de la concurrence.

Quelques mois plus tard, le législateur avait pourtant accordé la priorité au libre dans l’enseignement supérieur.

Depuis la loi Numérique de 2016, l’ensemble des administrations est surtout censé « encourag [er] » l’utilisation des « logiciels libres et des formats ouverts lors du développement, de l’achat ou de l’utilisation » de ses systèmes informatiques. Si quelques efforts ont été faits ces dernières années sous l’impulsion notamment de la Direction interministérielle au numérique (DINSIC), ces dispositions demeurent malgré tout dénuées de valeur juridique…

Interdiction de la vidéosurveillance, accès à Internet gratuit pour certains élèves…

Michel Larive souhaite d’autre part interdire « la vidéosurveillance des élèves dans les établissements scolaires ». L’élu juge que cette technique est « tout à fait inappropriée » dès lors qu’il s’agit d’assurer la sécurité et la tranquillité des élèves.

« Inapte à prévenir les problèmes ou à les résoudre », la vidéosurveillance serait surtout « un véritable ferment de défiance entre les personnes » aux yeux de l’élu Insoumis. Selon lui, les caméras créent « un climat de suspicion généralisée qui n’est pas propice à nouer ni même rétablir des relations harmonieuses entre les élèves et les membres de la communauté éducative ».

Sabine Rubin, également LFI, réclame enfin que le gouvernement étudie, au travers d’un rapport, la possibilité d’offrir un accès à Internet gratuit à certains élèves, lorsque « les conditions matérielles et financières ne sont pas réunies » au sein de leur famille.

« De plus en plus de travaux ne peuvent être réalisés dans de bonnes conditions sans un accès rapide et fréquent à Internet », soutient la députée. « S’il est vrai que l’école doit être gratuite, alors il faut admettre que désormais, l’accès à Internet est un droit qui doit être garanti. »

Les débats doivent débuter ce soir à 21 heures. L’examen en séance publique commencera quant à lui le lundi 11 février. Le texte sera ensuite transmis au Sénat.