[The Intercept] Julian Assange Arrested in London

En français, y’a Le Monde, par exemple.

Derrière les poursuites contre Assange, les menaces sur la liberté de la presse

12 avril 2019 Par Jérôme Hourdeaux

Pour l’instant, la justice américaine ne reproche au fondateur de WikiLeaks que d’avoir tenté de pirater le mot de passe d’un réseau protégé de l’armée américaine, une infraction punissable de cinq années de prison. Cette incrimination, qui pourra par la suite être complétée par d’autres, est un moyen de nier la qualité de journaliste de Julian Assange et celle d’organe de presse de WikiLeaks.

L’acte d’accusation à l’encontre de Julian Assange, dévoilé par la justice américaine jeudi 11 avril, quelques heures après son arrestation dans les locaux de l’ambassade équatorienne de Londres, a surpris de nombreux observateurs.

Même si l’existence d’une procédure à l’encontre de Julian Assange et de certains de ses collaborateurs était devenue un secret de polichinelle, documenté à plusieurs reprises par la presse, les autorités américaines étaient parvenues à conserver secrètes les charges retenues contre l’ex-rédacteur en chef de WikiLeaks.

Julian Assange après son interpellation, à Londres, le 11 avril 2019. © Reuters Julian Assange après son interpellation, à Londres, le 11 avril 2019. © Reuters

Les quelques déclarations de responsables faisant allusion à ce sujet n’étaient guère rassurantes et laissaient présager d’une inculpation pour espionnage, peut-être même en lien avec la Russie, des infractions pouvant être en théorie sanctionnées par la peine de mort. « Il est temps d’appeler WikiLeaks pour ce qu’il est vraiment, un service de renseignement non étatique hostile, souvent encouragé par des acteurs étatiques tels que la Russie » , affirmait ainsi au mois d’avril 2017 le directeur de la CIA Mike Pompeo.

À ce stade, donc, une seule charge a été retenue contre Julian Assange : « Conspiration en vue de commettre une intrusion informatique » , une infraction punie d’une peine de cinq années de prison. Au terme d’environ neuf années de travail, les enquêteurs n’auraient donc réussi à imputer qu’un seul fait à Julian Assange et à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, également poursuivie et interpellée au début du mois de mars pour avoir refusé de témoigner contre le fondateur de WikiLeaks.

Les faits visés par l’acte d’accusation auraient été commis dans une période comprise « environ » entre le 2 mars et le 10 mars 2010. À cette époque, affirme le document, Chelsea Manning, qui travaillait alors en tant qu’analyste pour l’armée américaine, avait déjà fourni des « centaines de milliers d’archives qu’elle avait téléchargées chez des départements et des agences des États-Unis » . Parmi ces documents figureraient ceux relatifs aux activités militaires américaines en Irak et en Afghanistan, qui feront la une des médias du monde entier pendant quelques mois.

Les enquêteurs semblent avoir eu accès à des conversations en ligne entre Julian Assange et Chelsea Manning, montrant que le rédacteur en chef de WikiLeaks aurait proposé à sa source de l’aider à déchiffrer un mot de passe. Cette opération aurait permis à Chelsea Manning de se connecter à un réseau sécurisé en utilisant les identifiants d’une autre personne. Julian Assange lui aurait demandé de lui fournir les mots de passe chiffrés afin de tenter de le pirater.

La tentative semble avoir échoué. « Assange a demandé plus d’informations à Manning au sujet du mot de passe , raconte l’acte d’accusation. Assange a indiqué qu’il avait essayé de casser le mot de passe en indiquant qu’il n’avait “pas eu de chance pour l’instant”. »

Julian Assange est inculpé pour violation du Computer Fraud and Abuse Act, la loi américaine sur les crimes informatiques, et non, comme on pouvait le craindre, pour violation de l’Espionage Act. À titre de comparaison, Chelsea Manning avait été jugée en 2013 pour 22 infractions, dont des violations de l’Espionage Act, et du Computer Fraude and Abuse Act. Et elle avait été condamnée à une peine de trente-cinq ans de prison, finalement réduite à sept ans par Barack Obama en janvier 2017.

Quelques heures après l’arrestation de Julian Assange, des responsables du département de la justice américaine faisaient déjà savoir que de nouvelles charges pourraient être ajoutées à son dossier. Certains craignent que la justice n’attende que le fondateur de WikiLeaks soit sur son sol pour abattre totalement ses cartes.

L’angle étroit choisi par la justice américaine pour attaquer juridiquement Julian Assange est cependant révélateur d’un certain embarras et s’inscrit dans une stratégie visant à contourner un écueil majeur dans ces poursuites : les risques pour la liberté de la presse.

WikiLeaks s’est en effet toujours présenté comme un organe de presse ayant pour rédacteur en chef Julian Assange, poste dont il a démissionné au début du mois de mars. Certains de ses membres, comme Jacob Appelbaum ou Sarah Harrison, sont des journalistes ayant signé des articles dans plusieurs grands journaux. La plupart de ses révélations ont été faites en partenariat avec les plus grands journaux du monde entier, attestant de leur intérêt public.

Or aux État-Unis, la presse est protégée par le sacro-saint premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté d’expression. En théorie, WikiLeaks pourrait l’invoquer pour sa défense, compliquant ainsi les poursuites. De plus, si Julian Assange était poursuivi pour la publication de documents, cela ferait logiquement des médias ayant collaboré avec lui des complices, impliquant ainsi dans la procédure des journaux tels que le New York Times , le Guardian , le Spiegel , Le Monde , Libération , ou encore Mediapart.

Comme le rapporte le New York Times , ce casse-tête juridique avait même conduit l’administration Obama à abandonner temporairement l’idée de poursuivre Julian Assange. Celle de Donald Trump a trouvé la parade. L’accuser de piratage informatique est en effet un moyen de lui retirer sa qualité de journaliste.

Si Julian Assange a bien tenté de casser un mot de passe, de plus en sollicitant sa source, il a en effet violé les règles journalistiques et ne pourrait plus se prévaloir du premier amendement. L’acte d’accusation rapporte ainsi un échange entre Chelsea Manning et Julian Assange dans lequel le lanceur d’alerte affirme ne plus avoir de document à transmettre. Le rédacteur en chef de WikiLeaks lui aurait répondu : « Selon mon expérience, les yeux curieux ne sont jamais fatigués. »

Cette stratégie de contournement du statut de journaliste n’est pas totalement nouvelle. En 2015, le site The Intercept avait révélé que la justice américaine avait exigé de Google la transmission des informations liées au compte de Jacob Appelbaum, proche collaborateur de Julian Assange. Pour éviter que celui-ci ne soit alerté de l’enquête le visant, le juge n’avait pas délivré de mandat, mais s’était appuyé sur une procédure permettant de recueillir des éléments matériels sur la seule base de « motifs raisonnables » et avait refusé de reconnaître le statut de journaliste de Jacob Appelbaum.

Ce sont pourtant bien des activités journalistiques qui sont visées indirectement. « Le fait qu’Assange a encouragé Manning à fournir des informations et des enregistrements provenant de ministères et d’agences des États-Unis faisait partie de la conspiration » , affirme notamment l’acte d’accusation.

Celui-ci vise par exemple, dans un chapitre intitulé « Les méthodes et les moyens de la conspiration » , des pratiques journalistiques indispensables, comme l’utilisation d’outils de communication chiffrés ou l’anonymisation des sources. « Julian Assange et Chelsea Manning ont conversé via le logiciel de messagerie instantanée chiffré Jabber » , peut-on notamment lire. « Assange et Manning ont pris des mesures pour dissimuler Manning en tant que source de la divulgation des archives classifiées à WikiLeaks, notamment en retirant les noms d’utilisateur des documents divulgués et en effaçant les journaux de discussion entre Assange et Manning » , relève encore l’acte d’accusation.

De nombreuses voix s’élèvent déjà pour souligner les dangers que font peser les poursuites contre Julian Assange sur l’ensemble de la presse. « Les allégations factuelles contre M. Assange se réduisent à encourager sa source à lui fournir des informations et à faire des efforts pour protéger l’identité de cette source » , a dénoncé jeudi 11 avril un des avocats de Julian Assange, Barry Pollack. « Les journalistes du monde entier devraient être profondément inquiets de ces charges criminelles sans précédent » , a-t-il ajouté.

Beaucoup de journalistes et de militants de la liberté d’expression américaine semblent avoir conscience de ces dangers. « Toute poursuite par les États-Unis contre Julian Assange pour les opérations de publication de WikiLeaks serait sans précédent et inconstitutionnelle, et ouvrirait la porte à des enquêtes criminelles contre d’autres organes de presse » , a ainsi alerté Ben Wizner, directeur au sein de l’American Civil Liberties Union (ACLU), principale association de défense des droits de l’homme américaine.

« Les conséquences potentielles pour la liberté de la presse de cette allégation de complot entre l’éditeur et la source sont profondément troublantes » , a également déclaré Robert Mahoney, directeur adjoint de l’ONG américaine Committee to Protect Journalists (CPJ, Comité pour la protection des journalistes). « Avec cette poursuite de Julian Assange, le gouvernement américain pourrait exposer de larges arguments juridiques concernant le fait que les journalistes sollicitent des informations ou interagissent avec des sources susceptibles d’avoir des conséquences effrayantes sur les reportages d’investigation et la publication d’informations d’intérêt public. »

Une analyse également partagée par la Electronic Frontier Foundation (EFF), principale association de défense des libertés numériques des États-Unis. « Plusieurs parties de l’acte d’accusation décrivent un comportement journalistique très commun, consistant à utiliser un stockage dans le cloud ou à recevoir en connaissance de cause une information classifiée ou supprimer des informations permettant d’identifier une source. D’autres parties semblent rendre suspects des outils communs en logiciel libre, comme Linux ou Jabber. Et, bien que nous soyons soulagés que le gouvernement n’ait pas choisi d’inclure aujourd’hui des charges fondées sur la publication, le gouvernement peut délivrer des charges additionnelles pendant au moins deux mois supplémentaires. Il ne devrait pas le faire » , estime l’association.

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L’attitude de la presse sera également un facteur déterminant dans les débats à venir, notamment aux États-Unis où l’image de Julian Assange est passablement plus négative qu’en Europe.

Dans un éditorial publié jeudi 11 avril, l’éditorialiste du Washington Post Margaret Sullivan avertit : « Les journalistes traditionnels peuvent abandonner Assange à leurs risques et périls. » « Oui, Assange a franchi une ligne s’il a en effet conspiré avec sa source pour briser un mot de passe sécurisé du gouvernement , écrit la journaliste. Mais les risques que les poursuites contre lui font peser sur les organes de presse sont réels. Avant de tourner le dos à Assange, nous devrions songer sérieusement à ce qui est en jeu. Le jeter aux loups comme un simple acteur narcissique – “pas comme nous”, bien sûr – peut sembler tentant. Mais les organisations dont les objectifs ne sont pas si différents peuvent en subir les conséquences. La zone grise est plus vaste qu’il n’y paraît – de même que les dangers pour le journalisme traditionnel et l’intérêt public » , prévient Margaret Sullivan.

Julian Assange a également reçu, sur ce point, le soutien d’un de ses anciens ennemis, James Ball, ancien collaborateur de WikiLeaks ayant claqué la porte de l’organisation en début d’année 2011, trois mois après y être entré. Devenu journaliste au Guardian , il avait notamment publié, en septembre 2011, un portrait assassin de Julian Assange, décrit comme un homme tyrannique, plus préoccupé par sa propre défense que par les idéaux de WikiLeaks.

Dans un article publié le 11 avril sur le site de The Atlantic, James Ball ne revient pas sur ses accusations mais affirme : « Bien que Julian Assange puisse mériter une punition pour d’autres choses qu’il est accusé d’avoir fait dans sa vie, il ne mérite pas d’être puni pour ce qu’il a publié en 2010. Sauf quelques révélations nouvelles et majeures, ni l’extradition ni des poursuites pour son travail avec WikiLeaks ne sont méritées , affirme-t-il, avant de conclure : Assange est peut-être un trou du cul. Oubliez ça ; Assange est un trou du cul. Mais nous allons de toute façon devoir le défendre. »

En Equateur, l’ex-président Rafael Correa qui avait accordé l’asile à Julian Assange en 2012, dénonce la décision de son successeur de mettre fin à sa protection diplomatique. Ce dernier, Lenin Moreno peut compter sur la presse de son pays pour soutenir sa décision.

Après près de sept ans de protection diplomatique, l’Equateur a donc lâché Julian Assange. L’arrestation ce 11 avril par la police britannique du fondateur de Wikileaks, réfugié au sein de l’ambassade d’Equateur à Londres depuis 2012, fait sans surprise la Une de la presse équatorienne. « L’adieu à un invité gênant » titre le quotidien La Hora ce vendredi quand, de son côté, El Telegraf o salue un gouvernement équatorien qui en retirant l’asile à Assange son asile a « revendiqué son autorité » .

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La Hora, « l’adieu à un invité gênant »

La Hora, 12 avril 2019

Sur Twitter, l’ancien président équatorien Rafael Correa, qui avait offert l’asile à Assange en 2012, n’a pas tardé à dénoncer la décision prise par son ex-vice-président et actuel chef de l’Etat équatorien, Lenín Moreno, qualifiant ce dernier de « plus grand traître de l’histoire latino-américaine » . De son côté, la presse équatorienne, qui par le passé s’est illustrée par son opposition à Correa, soutient sans grande surprise l’actuel chef de l’Etat. A l’unisson de l’actuel président équatorien, qui depuis son élection en mai 2017 a opéré un réalignement stratégique aux côtés de Washington, les quotidiens du pays saluent la décision des autorités de retirer l’asile à Assange.

« Les hauts et les bas d’une telenovela »

Le quotidien conservateur El Universo , qui par le passé a eu maille à partir avec Correa, rappelle qu’Assange « n’a pas quitté le bâtiment, espace diplomatique équatorien, depuis juin 2012 par peur d’être arrêté puis extradé aux États-Unis, où il est poursuivi pour avoir publié des milliers de documents confidentiels diplomatiques et militaires » . En Une EL Universo pointe le fait que ses 2 487 jours de protection à l’ambassade équatorienne de Londres « ont coûté au pays 6 millions de dollars » . Le quotidien La Hora souligne : « Ce sont des ressources qui auraient pu construire 155 maisons d’intérêt social, 88 écoles communautaires, un centre de santé de type C, selon le gouvernement. »

La presse équatorienne ne manque pas de relayer les arguments des autorités pour justifier ce lâchage : pour expliquer la décision de mettre fin à cet asile, le président équatorien Lenín Moreno a mis en avant « une conduite irrespectueuse et la violation de conventions internationales » de la part de Julian Assange.

UneEltelegrafo

[« Le gouvernement revendique son autorité »

](¿Cuánto gastó Ecuador durante estadía de Assange en la Embajada en Londres? - El Comercio)

EL telegrafo, 12 avril 2019

El Comercio relaie ainsi la déclaration du gouvernement selon laquelle "le gouvernement de l’ancien président Rafael Correa a toléré des choses de M. Assange dans les murs de l’ambassade qui sont loin du minimum de respect qu’un invité peut avoir dans un pays qui l’a généreusement accueilli. " Plusieurs médias rembobinent le fil d’une relation qui s’est dégradée au fil du temps. « La relation entre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, et les responsables équatoriens qui lui ont accordé l’asile a connu les hauts et les bas d’une telenovela » , peut-on lire sur le site d’ El Universo .

Quand le vent tourne pour assange

Tout débute en 2012, lorsque Correa accorde l’asile à Assange. « Avec un gouvernement aligné sur les pays bolivariens et une forte défense des droits de l’Homme dans sa Constitution, l’ Équateur semblait l’option idéale pour faire face aux systèmes de justice américain, britannique et suédois » , raconte El Mercurio quand de son côté El Universo rappelle que "en accordant l’asile à Assange, Correa a pu élever son statut moral en s’associant à un homme dont les adeptes le voyaient comme un Robin des Bois de l’ère numérique, un croisé contre les grands gouvernements et les grandes entreprises ." Le quotidien raconte aussi « la première grande dispute publique » en 2016, lorsque le gouvernement de l’Équateur a interrompu une première fois son accès à Internet après que WikiLeaks a publié de nombreux courriels nuisibles pour la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. « En ciblant Clinton, Assange a affecté le soutien de Correa au candidat démocrate et ses efforts pour réparer les relations compliquées avec Washington » , raconte El Universo qui reconnaît qu’après l’arrivée au pouvoir de Moreno en mai 2017, le soutien de l’Equateur à Assange va s’effriter. « Quelques mois après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Moreno a de nouveau reproché à Assange de s’être ingéré dans les affaires internationales après avoir exprimé son soutien aux sécessionnistes catalans de l’ambassade d’Équateur. »

ElUniverso

« Une relation complexe qui a duré 7 ans »

El Universo, 12 avril 2019

Assange, accusé de parasiter la diplomatie équatorienne. Ce n’est pas le seul grief de la présidence Moreno à l’égard du fondateur de Wikileaks. El Mercurio en cite un autre : « L’Équateur a également commencé à se plaindre de ses mauvaises manières auprès du personnel de l’ambassade, de problèmes d’hygiène et même des inconvénients causés par les soins de son chat. » Alors que El Comercio se demande ce qu’il est advenu du chat d’Assange après l’arrestation de son maître (si, si…), il relaie aussi tout comme le site d’info Opinion les déclarations tonitruantes de Moreno accusant Assange d’avoir « souillé les murs de l’ambassade avec ses excréments » et d’avoir « battu des gardes » .

comercio

« Qu’est-il arrivé au chat que assange avait à l’embassade ? »

EL Comercio, 11 avril 2019

Difficile pourtant de réduire la décision de l’Equateur au comportement d’Assange au sein de l’ambassade. Comme le rappelle El Universo , début avril, le président Moreno avait accusé WikiLeaks d’être à l’origine de divulgations le concernant : « le portail WikiLeaks avait diffusé des photos, vidéos et conversations privées du président Moreno. » WikiLeaks aurait diffusé « des images de ma chambre à coucher, de ce que je mange et de ma femme et de mes filles en train de danser avec des amis » , avait accusé Moreno, sans en apporter de preuve.

Ina Papers

Mais il est peut-être aussi d’autres événements, dont la presse équatorienne ne fait pas mention, qui ont pu précipiter la décision de Quito. « Julian Assange a été expulsé de l’ambassade équatorienne pour avoir exposé l’affaire de corruption des Ina’s paper du président Moreno » , clame sur Twitter l’ex-président Rafael Correa.

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« Assange a été expulsé de l’ambassade pour avoir exposé l’affaire des Ina papers »

Twitter, 11 avril 2019

Les « Ina Papers » , c’est ce scandale de corruption qui a ébranlé la présidence équatorienne fin février après la fuite de dizaines de documents confidentiels tendant à montrer que Lenín Moreno et sa famille se serait enrichis via des comptes d’entreprises fictives basées à Belize. Le Président Moreno soupçonne le fondateur de Wikileaks d’être à l’origine du scandale.

Depuis qu’il a été arraché à l’ambassade d’Equateur hier par la police britannique, le réseau s’agite. Il y a ceux qui trouvent son arrestation logique, ceux qui pensent que c’est un chantre de liberté d’expression qui est injustement poursuivi. Le dialogue impossible reflète la polarisation des débats où tout doit être soit blanc, soit noir et nie toute possibilité d’un état des lieux gris. Au delà des polémiques, l’arrestation de Julian Assange, visiblement très diminué physiquement par ses sept ans d’enfermement, montre que Washington a la rancune tenace et que la capitale de la première démocratie de la planète est surtout très affairée pour faire taire tous ceux qui démontrent qu’elle s’est perdue dans des guerres injustifiables.

Les ennuis judiciaires de Julian Assange débutent en août 2010 quand deux femmes l’accusent d’agression sexuelle et de viol. Fin septembre de la même année, le fondateur de Wikileaks quitte la Suède avant que la justice n’ait pu finir son enquête. Il se réfugie à Londres, craignant dit-il d’être extradé vers les Etats-Unis depuis la Suède. Entendu à Londres sur l’affaire, il est placé en détention avant d’être libéré sous caution. La Cour suprême britannique finit par lever les derniers freins à une extradition vers la Suède et Assange se réfugie dans l’ambassade d’Equateur. Dès lors, Londres va déployer des moyens absolument colossaux (et disproportionnés) pour le récupérer, au prétexte qu’il a violé les conditions de sa libération sous caution.

A Washington, l’Etat profond, notamment les militaires et les faucons, n’ont de cesse que de récupérer celui qui a permis la publication des tonnes de documents confidentiels sur les guerres injustifiées des Etats-Unis après le 11 septembre. Ces documents ne révèlent pas grand chose. Quasiment tout ce qui avait trait aux méthodes américaines dans ces deux conflits avait été documenté de manière éparse par la presse. Mais ils confirment ce que l’on savait. Nier l’évidence et les propres documents de l’administration américaine devient dès lors impossible. La première démocratie de la planète, comme elle aime à se définir, a mené des guerres sous de faux prétextes, torturé, enlevé des innocents, assassiné des gens, détenu dans un cadre extra-judiciaire, sans perspective de procès, des êtres humains. On en passe. Le clou, si l’on peut dire, de ces révélations de Wikileaks et qui est, pour le coup une véritable révélation : l’enregistrement audio et vidéo d’un massacre de civils et de journalistes par un hélicoptère de l’armée américaine.

En outre, les Etats-Unis, sous George Bush, Barack Obama et Trump, ont démontré leur opiniâtreté à museler et punir les lanceurs d’alerte dénonçant les dérives du pouvoir. Chelsea Manning, Edward Snowden, Reality Winner…, ont tous subi les foudres de l’Oncle Sam. Julian Assange figure, à n’en pas douter, en bonne place sur la liste de ceux qui veulent faire des exemples dans ce domaine.

Une personnalité controversée

Julian Assange est sans doute autant détesté par certains qu’adulé par d’autres. Sa personnalité et ses actes clivent. Les agressions sexuelles alléguées, sa capacité à mener à la baguette la presse mondiale, le fait qu’il ait eu une gestion désastreuses de son organisation, favorisent les critiques. Son choix de passer d’une publication brute des documents à l’inverse : des publications très encadrées, partielles, passées par le filtre de la presse (dont il pensait pourtant initialement qu’elle ne faisait pas son travail correctement)… Tout cela avait éloigné de Wikileaks des soutiens initiaux.

Mais il faut regarder au delà de l’écume. Au delà de l’homme. Il n’existe pas d’organisation humaine qui n’évolue pas. Il n’existe pas d’homme dont l’âme est toute noire ou toute blanche. Il n’existe pas d’organisation qui n’ait pas un but avoué ou non. Pour ce qui est de Wikileaks, que l’organisation ait ou non choisi de publier certains documents et pas d’autres n’est pas une critique recevable. La presse classique fait la même chose chaque jour sur la base de la hiérarchie de l’information. Des gens jugent chaque matin de l’importance ou non d’un événement, d’un document, décident de publier ou pas, de faire long ou court. Ce qui est acquis, c’est que Wikileaks a publié des tombereaux de documents que certains, à qui les peuples avaient délégué leur pouvoir, avaient décider de cacher à ceux-là même qui leur avaient délégué leur pouvoir. Au delà des leaks portant sur les militaires, les services de renseignement ou les gouvernements américains, Wikileaks a permis de mettre un coup de projecteur sur des négociations internationales, des organisations internationales et leurs dérives, des entreprises privées. Ces leaks sont une mine d’or pour mieux comprendre les dessous des cartes. Par exemple, les câbles diplomatiques des ambassades américaines, ont permis de découvrir en profondeur la façon dont Washington interagit avec le reste du monde.

Toutes ces publication contribuent à une meilleure information du public. Et ça, c’est une avancée, quelque chose que l’on ne peut pas lui retirer. En cela, les défenseurs de Julian Assange ont raison : Wikileaks fait un métier similaire à celui de la presse classique.

Assange et les poursuites américaines

Il va falloir observer de près ce que les Etats-Unis reprochent au fondateur de Wikileaks et ce qu’ils pourraient lui reprocher plus tard. Pour l’instant, Washington explique que Julian Assange est poursuivi pour piratage informatique et ne risque « que » cinq ans de prison. Ce motif de poursuite est lui-même discutable, mais si dans un avenir plus ou moins proche, Julian Assange devait être poursuivi pour les publications de Wikileaks, c’est à la fois la liberté d’expression et la liberté de la presse qui seraient attaquées. Déjà bien déglingués, ces deux concepts ne s’en remettraient sans doute pas. Avec en cerise sur le gâteau, l’idée que les sources courent des risques démesurés à parler avec la presse. Chelsea Manning a été condamnée à trente-cinq ans de prison. Bien plus que ce que risque désormais Julian Assange s’il est extradé aux Etats-Unis. C’est surtout cela que dit de nous l’arrestation et les éventuelles poursuites contre le fondateur de Wikileaks : laisserons-nous les gouvernements et les multinationales continuer de cacher leurs méfaits sans réagir ? Devrons-nous vivre dans la peur de révéler des scandales ?

Le courage des lanceurs d'alerte est contagieux

1 « J'aime »

Comme bien des personnalités fortes, Assange n’a pas que des admirateurs, son ancien collaborateur le traitant de « trou du cul », et pourtant « nous devrons le défendre. »
Complexité de “l’affaire” Assange, et complexité du droit américain. Il reste aussi la plainte suédoise…

Il n’est pas sorti de la bonne auberge des prisons anglaises, et ensuite ??

elle est réglée, je crois

Il semble que la Suède pourrait la réactiver !
Entre la Suède, l’Angleterre aux mains de qui il est actuellement, les États-Unis qui veulent lui poser des questions…
Le plus étonnant : les journalistes pourraient --aux États-Unis-- le soutenir car il s’agit aussi de leur façon de recueillir des renseignements, c’est à dire leur manière fondamentale de travailler, protégée (dans les pays démocratiques) par des lois.

Une affaire intéressante à suivre.